Des méthodes de géologie marine dévoilent l’histoire d’un ancien port romain

Les résultats d’un projet de recherche international incluant des chercheurs de l’ISMER-UQAR sont publiés ce mois-ci dans le journal Quaternary International. L’équipe innove en appliquant des méthodes de géologie marine utilisées pour la première fois pour un site archéologique portuaire en Italie. La diplômée de l’ISMER-UQAR Agathe Lisé-Pronovost a dirigé ce projet avec le géoarchéologue Jean-Philippe Goiran du CNRS (France). Les professeurs de l’ISMER-UQAR Guillaume St-Onge et Jean-Carlos Montero-Serrano font aussi partie de l’équipe, ainsi que des collègues en Europe et en Australie, où Agathe est aujourd’hui chercheuse en sciences de la Terre à l’Université de Melbourne.

Les sédiments accumulés dans les anciens ports de la mer Méditerranée peuvent enregistrer des vitesses d’accumulation très élevées et rarement égalées en milieu naturel. Ces archives sédimentaires exceptionnelles bénéficient d’une résolution temporelle inégalée et sont donc idéales pour reconstituer l’histoire humaine et climatique en détail. C’est le cas de Portus, l’ancien port maritime de Rome, qui a été ingénieusement construit au premier siècle AD dans le delta du Tibre. Portus était un complexe de basins portuaires et de canaux qui constituaient la plaque tournante du commerce dans la capitale de l’Empire romain.

Un défi majeur en géoarchéologie des anciens ports est de déterminer l’âge des sédiments. Il est difficile de dater les sédiments portuaires puisque leur accumulation n’est pas constante comme en milieu marin loin des continents et de l’activité humaine. En effet, un port peut recevoir des dépôts de crues, de tempêtes et de tsunami. De plus, les Romains draguaient leurs infrastructures pour maintenir une profondeur d’eau suffisante au passage des navires. Ils utilisaient aussi peut-être des portes pour fermer les canaux, en cas de guerre, ou pour éviter l’enlisement lors de crues. La méthode novatrice choisie pour l’analyse des sédiments de Portus visait à obtenir des données d’une multitude de paramètres à haute résolution temporelle pour aborder ce problème de datation portuaire. Les paramètres étudiés incluent le carottage à piston, la tomodensitométrie, les propriétés magnétiques, la minéralogie des argiles, la taille des grains et la datation radiocarbone(14C).

tableau portusLes résultats révèlent qu’en plus du sédiment portuaire accumulé au cours du temps, plus d’un mètre et demi de sédiment (environ 40 % du sédiment total) a été remobilisé. L’épaisseur de sédiment remobilisé a des implications importantes pour la reconstitution de la profondeur d’eau et le type de bateaux capable d’accéder aux infrastructures portuaires. Deux dépôts remobilisés majeurs sont identifiés. Le premier dépôt majeur est un dépôt de dragage daté du 2e siècle AD, soit près de deux siècles plus tôt que les études antérieures. Le deuxième dépôt majeur est un épais dépôt de crue de 66 cm qui indique un évènement de fort hydrodynamisme. Le professeur Guillaume St-Onge a documenté des dépôts similaires formés par des crues dans le fjord du Saguenay et la baie d’Hudson. Bien que les tempêtes, tsunamis et crues puissent former ce type de dépôt en milieu naturel, à Portus, il serait plutôt lié à la réouverture du canal portuaire après les opérations de dragage. Alors que les crues du Tibre sont abondamment reportées dans les documents historiques, l’analyse des sédiments ne montre pas de série temporelle de dépôts de crues, mais plutôt un hydrodynamisme constant qui indique une gestion efficace par les Romains des apports fluviaux dans leur port maritime. Ces données démontrent ainsi que les Romains utilisaient des portes pour les opérations sur leurs canaux dès le 2e siècle AD !

monnaie portusC’est la première fois que le magnétisme sédimentaire est appliqué à la géoarchéologie d’un port antique. Les propriétés magnétiques ont permis la corrélation des carottes sédimentaires, l’identification des dépôts remobilisés et la reconstitution de l’apport fluvial. Le magnétisme sédimentaire est un outil polyvalent qui peut être ajouté à la boîte à outils du géoarchéologue.

Ce projet a été financé par une bourse de recherche postdoctorale du Fonds de recherche Quebec -Nature et technologies (FRQNT), une bourse de recherche de l’Université La Trobe (Australie), une bourse de travail de terrain de la Geological Society of America (GSA) à Agathe Lise-Pronovost ainsi que par les subventions à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) de Guillaume St-Onge et Jean-Carlos Montero-Serrano.

Pour accéder à l’article scientifique :

https://authors.elsevier.com/c/1Z7lS3ic-FC9Qu

A. Lisé-Pronovost, F. Salomon, J.-P. Goiran, G. St-Onge, A.I.R. Herries, J.-C. Montero-Serrano, D. Heslop, A.P. Roberts, V. Levchenko, A. Zawadzki, H. Heijnis, 2019. Dredging and canal gate technologies in Portus, the ancient harbour of Rome, reconstructed from event stratigraphy and multi-proxy sediment analysis. Quaternary International 511, 78-93.

 

Image 1 : Une fresque au Palais du Vatican peinte par un artiste du 16e siècle AD présente une vision idéalisée de Portus, le port maritime de Rome, construit au premier siècle AD.  Source : Wikimedia Commons, the free media repository
Image 2 : Histoire de l’accumulation de sédiments au site de carottage étudié par Lise-Pronovost et al. (2019).
Image 3 : Pièce de monnaie du premier siècle AD illustrant Portus. Par Christophe Jacquand - Own work, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=75170884
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