Chroniques étudiantes : L’influence anthropique se répercute dans le fond marin du Passage du Nord-Ouest

En Arctique le couvert de glace diminue et les prévisions suggèrent que le trafic maritime dans l’archipel Arctique canadien augmentera. De tels changements génèrent plusieurs conséquences, dont le relâchement de contaminants reliés aux activités anthropiques croissantes. Parmi ces composés se trouvent les hydrocarbures aromatiques polycycliques, que j'analyse dans les sédiments dans le cadre de mon projet de maîtrise à l’UQAR-ISMER.

En Arctique, à cause de la diminution continue du couvert de glace, il est suggéré que le Passage du Nord-Ouest, situé dans l’archipel Arctique canadien pourrait s’ouvrir et s’imposer comme voie de transport maritime. Cette voie présente l’avantage principal d’être plus courte et rapide que de passer par le canal de Suez ou de Panama.

Par contre, une augmentation du trafic maritime n’est pas sans conséquence : la combustion des carburants fossiles relâche un mélange d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAPs) dans l’air. Les HAPs sont majoritairement produits lors d’une combustion incomplète de matériel carboné. Avec l’industrialisation, les sources anthropiques (moteurs à combustion et usage répandu des énergies fossiles) ont largement dépassé les sources naturelles (feux de forêt et éruptions volcaniques, entre autres). Ce sont des molécules organiques très peu solubles dans l’eau, car constituées uniquement de carbone et d’hydrogène. Une fois relâchés dans l’atmosphère et déposés à la surface de l’eau, ils ont tendance à s’agglomérer avec les particules en suspension et à éventuellement couler pour s’accumuler dans les sédiments, qui sont d’ailleurs considérés comme un puits de HAPs.

Ainsi, les concentrations en HAPs dans les sédiments du Passage du Nord-Ouest sont appelées à être modifiées, mais il n’existe qu’une connaissance fractionnaire de l’état actuel de la situation. Afin d’établir une connaissance actuelle des niveaux de HAPs dans tout l’archipel Arctique canadien, une centaine d’échantillons de sédiments de surface, soit les sédiments les plus récents, ont été récoltés lors de différentes expéditions d’ArcticNet à bord du navire de la garde côtière canadienne (NGCC) Amundsen. Pour se faire, un carottier à boîte est déployé et permet de remonter un cube de sédiments non perturbés depuis les fonds marins (photo ci-contre). L’ensemble de ces échantillons sont présentement étudiés dans la cadre de mon projet de maîtrise en océanographie réalisé sous la direction des professeurs de l’ISMER Jean-Carlos Montero-Serrano et de l’UQAR Richard St-Louis.

Une récente étude effectuée à Alert, à l’extrême nord de l’île d’Ellesmere, a analysé les données de HAPs atmosphériques récoltées sur une période de 15 ans. Leur conclusion : les apports de HAPs sont restés relativement stables malgré une diminution des émissions en zones industrialisées. Afin de mieux comprendre ce résultat, l’utilisation de ratios diagnostiques permet de distinguer la source des HAPs puisque leurs proportions dans le mélange varient en fonction d’une combustion de biomasse ou de combustible fossile, par exemple. Ainsi, à Alert, malgré un maintien des apports en HAPs, les ratios se déplaçaient progressivement depuis les sources de combustion au charbon et au bois vers des sources fossiles, comme des émissions par les véhicules à essence ou au diésel. Les premières interprétations des résultats de notre étude suggèrent la même chose, mais pour les sédiments : les ratios indiquent des sources pyrogéniques fossiles, c’est-à-dire issues de combustion fossile et non de biomasse forestière, en plus d’une présence de sources pétrologiques naturelles. Ces résultats laissent croire que l’augmentation des activités anthropiques en Arctique se répercute déjà dans les sédiments et que l’ancienne signature du bois et du charbon est progressivement remplacée par une signature d’essence et de diésel.

Mentionnons que ces activités de recherche sont appuyées financièrement par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) grâce à la subvention à la découverte du professeur Jean-Carlos Montero-Serrano.

 

Image 1 : Paysage arctique près du Passage du Nord-Ouest (photo : Anne Corminboeuf, étudiante à la maîtrise en océanographie).
Image 2 : Carottier à boîte au moment de l’échantillonnage (photo: Jean-Carlos Montero Serrano).
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