Quand la création littéraire rencontre les sciences de la mer

Les projets de recherche mariant les sciences de la mer et la création littéraire sont rares, très rares. Camille Bernier et Tina Laphengphratheng ont eu la chance d’accompagner une équipe d’océanographes dans le cadre d’une mission sur l’estuaire du Saint-Laurent à bord du Coriolis II. Une occasion unique pour ces deux étudiantes à la maîtrise en lettres.

L’été et l’automne derniers, ces étudiantes ont réalisé des projets de recherche-création sur la géopoétique, l’écopoétique et l’éthique lors d’une mission transdisciplinaire menée par le professeur Jean-Carlos Montero-Serrano, de l’ISMER-UQAR, et ses collègues Audrey Limoges de l’Université du Nouveau-Brunswick et Alexandre Normandeau de la Commission géologique du Canada (Atlantique). Une mission visant à étudier les processus hydrodynamiques, les risques associés à la remobilisation sédimentaire et leurs impacts sur les dynamiques de productivité primaire dans un système de canyons sous-marins situé au large de Pointe-des-Monts.

Selon la professeure en création littéraire Kateri Lemmens, ce type de collaboration permet un renouvellement des pratiques de recherche et un meilleur partage des connaissances. « Devant les défis qui se présentent à l’humanité en temps de crise, on voit émerger de nouvelles manières de penser, de lire et de raconter le monde qui nous appellent à franchir les barrières des disciplines. Partout dans le monde, de plus en plus de projets concernant l’anthropocène et notre rapport à la nature sont abordés en impliquant des équipes de création, parce que la création parvient à aborder et à exprimer ce qui est hautement humain dans nos expériences du monde : l’émerveillement, la détresse, l’attachement, alors que les équipes scientifiques ont souvent été habituées à soustraire la subjectivité et la vulnérabilité de leurs manières de raconter ce qu’elles découvrent. »

(Photos : Camille Bernier)À l’instar de l’équipe d’océanographes, Tina Laphengphratheng a pu recueillir des échantillons lors de son passage sur le navire de l’UQAR. « Le Coriolis II a fait naître de nombreuses réflexions et beaucoup d’images qui nourrissent ma créativité », indique l’étudiante dirigée par la professeure Camille Deslauriers. « Mon processus créateur se réalise beaucoup par images, qu’elles soient concrètes ou mentales. J’ai été privilégiée d’avoir accès à une telle expérience pour créer. Je pense que la collaboration permet de témoigner de manière plus efficace de la complexité des choses. Le canyon de Pointe-des-Monts, par exemple, mérite d’être étudié en océanographie, mais aussi dans d’autres domaines parce qu’il concerne tout le monde. Je pense que la littérature et l’éthique permettent de donner une autre perspective tout aussi pertinente. »

De telles expériences favorisant la rencontre de différentes perspectives de recherche permettent d’enrichir notre compréhension d’un même objet d’étude, observe Camille Bernier. « Je crois à la nécessité d’un partage de termes et d’images entre nos domaines respectifs, afin de nous retrouver en terrains communs: idéalement physiques, comme sur le bateau, mais surtout conceptuels. Les notions comprises et élaborées ensemble, entre chercheuses et chercheurs de différents horizons, représentent la possibilité de comparer nos manières de lire et d’aborder des objets d’études similaires. Ma réflexion d’abord littéraire sur le sédiment, par exemple, émanera de mes observations et conversations sur le bateau, avec l’équipage et avec les scientifiques qui l’étudient entre autres en océanographie, mais deviendra aussi une métaphore qui, c’est le but, permettra à nos recherches de se rejoindre. »

Tina Laphengphratheng consacre sa maîtrise en lettres au carnet littéraire. « Le but de ma recherche est de définir le carnet et de proposer une typologie », explique-t-elle. « J’ai l’intention d’y intégrer les carnets numériques, qui sont de plus en plus présents aujourd’hui. La partie création de mon mémoire sera évidemment un carnet littéraire. Le carnet littéraire m’intéresse particulièrement parce qu’il permet une énorme liberté. C’est également pourquoi il est si difficile à cerner. Il n’a pas de forme précise ou de thèmes prédestinés. De plus, il fait preuve d’interdisciplinarité, c’est-à-dire qu’il inclut souvent d’autres formes artistiques, mais aussi des savoirs de différents domaines tels que les sciences sociales et naturelles, la philosophie, etc. Faire une recherche pour en dresser les frontières est un défi très stimulant. »

Pour sa part, Camille Bernier réalise une maîtrise en lettres sous la direction de la professeure Kateri Lemmens et la codirection de la professeure en éthique Dany Rondeau. « Le sujet de ma maîtrise en recherche-création est le potentiel de l’approche écopoétique dans l’étude interdisciplinaire d’une relation humaine à la science, plus précisément celle reliée au fleuve Saint-Laurent. Un volet éthique permettra d’évoquer les vulnérabilités en jeu dans cette démarche. Le séjour sur le Coriolis II a servi de moment privilégié pour observer la recherche dans sa pratique, en discuter avec ceux qui la font en sciences naturelles, et comme lieu pour amasser mes propres données pour ma maîtrise », mentionne Mme Bernier.

La professeure Lemmens souhaite que ces collaborations se répètent dans l’avenir. « La richesse du questionnement scientifique représente un formidable réservoir de questionnements pour la création, un appel à renouveler son regard, à apprendre à voir autrement, à redécouvrir et à s’étonner », conclut la professeure en création littéraire. Le Réseau Québec maritime (RQM) et MEOPAR (Marine Environmental Observation, Prediction and Response Network, un réseau national de centres d’excellence du Canada) appuient financièrement ce projet transdisciplinaire. 

 

(Photos : Camille Bernier) 

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